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Créé l’an dernier par l’association franco-tunisienne des avocats, présidée par Samia Maktouf, le prix Gisèle Halimi a grandi vite. Pour sa deuxième édition, Yaël Braun-Pivet lui avait ouvert, lundi 18 novembre, les portes du fastueux salon de l’hôtel de Lassay, où régnait l’affluence des grands jours. Des neuf ouvrages sélectionnés [1], tous évoquant la liberté et l’émancipation des femmes, c’est celui d’Abnousse Shalmani qui a emporté le choix du jury, conquis par ce roman rythmé et érudit, fresque de deux trajectoires et de deux époques.
« Merci de récompenser à travers une femme qui a dit non, deux autres femmes qui ont osé le non. Gisèle Halimi a commencé par dire non. Non à la tradition qui faisait d’elle la boniche de ses frères et non à l’obligation de se taire quand les hommes prenaient la parole », s’est félicitée la romancière et chroniqueuse dont la verve et la chevelure bouclée sont familières des téléspectateurs de LCI.
Samia Maktouf, présidente de l’association franco-tunisienne des avocats.
« J’aurais tant aimé rencontrer Gisèle Halimi, cela aurait été l’occasion de disputes extraordinaires. La dispute, un trésor de la démocratie qui dit la richesse inépuisable du débat contradictoire », a-t-elle également lancé celle. Déjà distingué par deux autres prix littéraires et unanimement salué par la critique, J’ai péché, péché dans le plaisir est un roman-miroir dans lequel se reflète le même désir de liberté et de transgression de deux femmes de lettres.
J’ai péché, péché dans le plaisir d’Abnousse Shalmani,Grasset, 198 p., 19, 50 €
En 1956 à Téhéran, lors d’une lecture de ses poèmes, Forough Farrokhzad, vingt ans, égérie des milieux littéraires iraniens, rencontre un jeune homme qui va bouleverser sa vie. Pour elle, Cyrus traduit les œuvres de Pierre Louÿs en persan, décrit le poète et son grand amour, Marie de Régnier.
Retenue par un mari sans imagination, sa famille et les coutumes de son pays, Forough entrevoit l’existence de ses rêves. Gracieuse, intelligente, perverse, Marie est l’une des reines de la Belle Époque. Admirée de tous les artistes parisiens pour ses écrits, elle collectionnait les amants et les maîtresses. Ses amis se nomment Claude Debussy, Marcel Proust, Léon Blum, Liane de Pougy et Natalie Clifford Barney.
Des membres du jury du Prix littéraire Gisèle Halimi, lors de la cérémonie à l’hôtel de Lassay de l’Assemblée nationale.
Avec Pierre Louÿs, elle vit une passion brûlante. Avec son époux, Henry de Régnier, une amitié tendre et complice. Fille de José-Maria de Heredia, elle se marie pour pouvoir combler les dettes de jeu de son père mais est enceinte de son amant.
« Ces femmes redoutables et sensuelles, bouleversantes et orgueilleuses ont en commun de ne s’être jamais posé la question si ça se fait ou ne se fait pas, du permis et de l’interdit, de la bienséance et de la foutue réputation. Elles ont pris ce qu’elles avaient à prendre sans égards pour la morale et la société », a déclaré Abnousse Shalmani dont les propos ont fait un évident écho au parcours de Gisèle Halimi.
Avocate, députée, militante, la franco-tunisienne, disparue en 2020 à l’âge de 93 ans, est une pionnière, qui a bataillé dans les prétoires, les enceintes politiques et dans la rue contre la colonisation, pour la criminalisation du viol et pour le droit à l’avortement.
Nadia Hai, ancienne ministre de la Ville, a présenté le jury à l’assistance.
Le procès dit de Bobigny en 1972 est le fait d’arme emblématique de cette personnalité pétillante et obstinée : elle obtient la relaxe d’une jeune fille de 16 ans, qui avait avorté après un viol. « Ce que les femmes considèrent comme acquis est toujours frappé d’une sorte de malédiction », mettait en garde Gisèle Halimi.
Aujourd’hui, en 2024, ses mots percutent l’actualité : aux États-Unis, l’avortement est interdit dans une quinzaine d’états et le retour de Donald Trump fait trembler les féministes ; en Iran, plus personne n’a de nouvelles de l’étudiante qui s’était mise en sous-vêtements début novembre devant son université pour protester contre le port du voile obligatoire ; en France, les débats se sont achevés mardi au procès de Dominique Pélicot, qui a repoussé les frontières de l’abjection et de la domination masculine.
Le Jury réunit Samia Maktouf (avocate de l’Ordre des avocats de Paris et de Tunisie, présidente du Prix et de l’association des avocats franco-tunisiens), Ariane Ascaride (actrice, comédienne), Razika Adnani (écrivaine, philosophe), Dominique Attias (avocat, spécialiste du droit des personnes, des droits de l’enfant et des violences faites aux femmes, ancien vice-président de l’Ordre des avocats), Elie Chouraqui (cinéaste), Christian Charrière-Bournazel (avocat, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats), Annick Cojean (journaliste au Monde), Julie Couturier (présidente du Conseil national des barreaux), Nadia Hai (ancienne députée, ancienne ministre), Margot Gallimard (directrice de la collection « L’Imaginaire »), Jeanne Grange (directrice littéraire de Calmann – Lévy), Aurélie Julia (directrice de la Revue des Deux Mondes), Bariza Khiari (ancienne vice-présidente du Sénat), Jean-Yves Le Borgne (avocat, ancien vice-président), Nadia Marouani (consultante au industries créatives), Estelle Meyer (actrice, auteure et chanteuse), Christophe Rioux (universitaire, écrivain, journaliste à Lire – Revue littéraire) et Cécile Tlili (écrivaine, lauréate du prix Gisèle Halimi en 2023 pour Un simple dîner).
© Jean-Louis Bertini © CAPA
[1] L’œil de la perdrix, Christian Astolfi, Le Bruit du Monde ; Une Femme debout, Catherine Bardon, Les Escales ; Bientôt les vivants, Amina Damerdji, Gallimard; Malentendues, Azza Filali, Éditions Elyzad ; Echappées, Manon Jouniaux, Grasset ; Adélaïde Hautval. La psychiatre qui a tenu tête aux médecins nazis, Denis Labayle, Plon ; J’ai pêché, pêché dans le plaisir, Abnousse Shalmani, Grasset ; Pour la peau de Shirley Page, Constance Trautsolt, Harper Collins ; Les âmes féroces, Marie Vingtras, Éditions de l’Olivier.