Donald Trump : Il faut sauver l’oncle Sam !

Résumé automatique par l’Intelligence Artificielle :

La formule est bien connue : « La démocratie est le pire système de gouvernement, à l’exception de tous les autres. » L’histoire de la démocratie n’est pas linéaire et les évènements récents soulignent qu’elle est également loin d’être terminée, n’en déplaise à Francis Fukuyama. Depuis quelques semaines, éditorialistes et politiques n’ont plus qu’un mot à la bouche : crise. Le retour de Donald Trump à la Maison Blanche en serait la preuve irréfutable. Depuis « ce vieux continent qui est le mien », on observe avec condescendance, voire avouons-le, un brin de satisfaction, les soubresauts qui agitent le Nouveau Monde.

Nous aurions cependant tort de ne pas en tirer de leçons. L’un de nos observateurs les plus perspicaces, Tocqueville, avait le premier mis en évidence le rôle de laboratoire de l’Amérique. « J’avoue que dans l’Amérique, j’ai vu plus que l’Amérique : j’y ai cherché une image de la démocratie elle-même, de ses penchants, de son caractère, de ses préjugés, de ses passions… j’ai voulu la connaître…pour savoir ce que nous devions espérer ou craindre d’elle. » Là-bas, il a observé le développement rapide de la démocratie et a prédit son extension à une Europe traversée par les révolutions et les réactions conservatrices qu’elles entraînaient. Les destins de l’Amérique et de l’Europe sont liés.

Posons-nous donc la question, sinon par solidarité avec les Américains au moins par égoïsme et souci de notre destin personnel : la démocratie américaine est-elle réellement en crise ? La seconde élection de Donald Trump en est-elle une manifestation ? Si l’on se réfère à une définition stricto sensu de la démocratie, la réponse est immédiate : non, Donald Trump n’est pas une hérésie. Il a remporté 312 grands électeurs contre 226 pour Kamala Harris et a, pour la première fois en trois élections, remporté le vote populaire (75 millions d’américains ont voté pour lui alors que seulement 70 millions ont voté pour Kamala Harris).

Contrairement à ce qui s’était passé en 2000 et 2016, c’est bien, cette fois-ci, le candidat avec le plus de suffrages qui s’empare de la présidence. La souveraineté populaire s’est exprimée et son souhait sera exaucé. De même, l’opportunité inouïe dont il a bénéficié en se trouvant en position de nommer trois juges conservateurs à la Cour Suprême (il est le seul président à avoir pu en nommer autant lors d’un seul mandat), bien que régulièrement critiquée comme une entrave à la séparation des pouvoirs, est constitutionnellement valable.

Pourquoi parle-t-on donc de crise de la démocratie américaine alors même que le gouvernement nouvellement élu est l’expression de la souveraineté populaire et que les principes constitutionnels n’ont pas été trahis ? En réalité, s’il n’y a pas stricto sensu de crise de la démocratie américaine étant donné que son fondement, la souveraineté populaire, n’a pas été ébranlé (pas encore ou pas à nouveau comme c’eut pu être le cas en 2020 avec la tentative de Donald Trump de renverser le résultat des élections), les autres piliers de la démocratie sont bien en train de vaciller.

« La démocratie américaine souffre d’un mal à trois têtes : la diminution de l’égalité, la consécration de l’individualisme, et ce qu’on appellera « la fin du rêve démocratique ». »

La démocratie américaine souffre d’un mal à trois têtes : la diminution de l’égalité (et donc la dégradation du contrat social), la consécration de l’individualisme, et ce qu’on appellera « la fin du rêve démocratique ». Tocqueville voyait dans la passion des hommes pour l’égalité la raison du succès futur de la démocratie. « Les institutions démocratiques réveillent et flattent la passion de l’égalité sans pouvoir jamais la satisfaire entièrement. ». Une société entièrement égalitaire était et demeure utopique mais l’égalité des chances est à la base du contrat social passé entre le peuple souverain et l’État.

Or, bien que les États-Unis demeurent le pays le plus riche du monde (leur PIB est supérieur à ceux du deuxième et troisième mondial cumulés en 2023), ils sont également l’un des pays développés avec le plus fort taux de pauvreté (calculé comme la proportion de personnes dont le revenu est inférieur à la moitié du revenu médian). Celui-ci est de 18% soit près du double du taux de pauvreté en France. La Réserve Fédérale a calculé qu’en 2019, les 10% des Américains les plus riches possédaient environ 65% de la richesse totale du pays (seulement 55% en 2015).

Les inégalités croissent et viennent nourrir un ressentiment contre les institutions démocratiques et les élites. Les promesses du contrat social entre gouvernants et gouvernés n’étant pas tenues, celui-ci s’effiloche.

« Les inégalités croissent et viennent nourrir un ressentiment. Les promesses du contrat social entre gouvernants et gouvernés n’étant pas tenues, celui-ci s’effiloche. »

Le deuxième mouvement profond qui agite la société américaine est la consécration de l’individualisme. L’avènement des régimes totalitaires et la Seconde Guerre mondiale vont contraindre les démocraties occidentales à repenser leurs modèles afin d’éviter que de telles tragédies se reproduisent. C’est la naissance de l’État Providence pour résorber les inégalités et l’entrée dans la période dite « droits de l’hommiste ». Les droits de l’homme acquièrent peu à peu une prééminence juridique et philosophique complète, venant même jusqu’à se placer au-dessus de l’État-Nation.

Les droits et les revendications d’accès aux droits se multiplient et viennent fracturer la communauté nationale en de minuscules communautés revendicatrices. Chaque individu se recentre sur la défense de ses intérêts particuliers, au détriment de l’intérêt général ou même de celui de sa propre communauté. Ainsi, malgré ses nombreuses critiques (voire parfois des insultes) envers la communauté latino-américaine, Donald Trump a recueilli 45% de leurs suffrages soit 12 points de plus qu’en 2020.

Lorsqu’ils sont interrogés sur les raisons de ce choix, de nombreux électeurs hispanophones, immigrés de la première génération, invoquent la dévalorisation de leur intégration par l’arrivée de nouveaux migrants ou encore la capacité de Donald Trump à défendre leurs intérêts économiques. En affaiblissant les valeurs de solidarité et de dialogue, en contribuant à la polarisation de la vie politique américaine et à l’érosion de la confiance des citoyens envers leurs institutions, l’individualisme a grandement alimenté la crise que subit aujourd’hui la démocratie américaine alors même que quelques années avant, elle était promise à un triomphe retentissant.

En 1992, Francis Fukuyama annonçait la fin de l’histoire. L’URSS venait tout juste de disparaître et avec elle l’idéologie communiste. Rien ne pouvait désormais plus arrêter la marche la démocratie libérale dont les États-Unis étaient la tête de pont. La désillusion est aujourd’hui à la hauteur des espérances suscitées. Non seulement la démocratie ne s’est pas imposée partout dans le monde mais elle est même mise en difficulté sur les terres qui l’ont vu naître. La croyance en la valeur de la démocratie, en un sens de l’histoire vers plus de liberté, d’égalité et droit et dans le rôle moteur des États-Unis dans cette croisade s’effrite.

« La croyance en la valeur de la démocratie, en un sens de l’histoire vers plus de liberté, d’égalité et droit et dans le rôle moteur des États-Unis dans cette croisade s’effrite. »

Les inégalités ne se résorbent pas, au contraire, elles augmentent, les intérêts particuliers ne s’effacent plus devant l’intérêt général mais se multiplient et font obstacle au dialogue social et à la cohésion, la démocratie ne suscite plus l’adhésion mais la critique voire parfois le rejet. La démocratie américaine traverse donc bien une période de crise mais Donald Trump n’en est nullement l’unique cause. Sa réélection est une des conséquences des mouvements profonds qui traversent la société depuis la fin des 30 Glorieuses et un symptôme du désamour grandissant des Américains envers leurs institutions et normes démocratiques.

Nous, Européens, aurions tort de prendre cet avertissement à la légère. Après tout, si l’Amérique est bien le laboratoire de la démocratie, sa remise en cause devrait bientôt atteindre nos frontières, si ce n’est pas déjà le cas.

© ABACA

 

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