La députée Danielle Simonnet nous livre son analyse des succès du Nouveau Front populaire aux législatives et les perspectives qu’elle aimerait lui voir prendre.
Au lendemain de la Fête de l’Huma, à gauche tout le monde en parle : « les tours et les bourgs ». Le débat sur la stratégie « À qui parler ? » s’enflamme entre Jean-Luc Mélenchon et François Ruffin. Il ne faudrait pas qu’il en cache un autre, celui de l’enjeu de rester en campagne et pour cela, de pérenniser l’unité du Nouveau Front populaire et l’ancrer localement, durablement.
On en oublierait presque qu’il oppose deux personnalités politiques du NFP. Que personne n’oublie pourquoi la campagne des législatives s’est caractérisée par une participation record et une forte implication citoyenne de femmes et d’hommes qui, pour bon nombre d’entre elles et eux ne s’étaient parfois jamais engagé·es politiquement auparavant. Face à la menace de l’extrême droite, c’est l’unité de la gauche sur un programme en rupture tant avec Macron qu’avec les années Hollande qui a ressuscité l’espoir d’une victoire qui changerait réellement la vie des gens. Ces nouveaux citoyen·nes militant·es, ou militant·es syndicalistes et associatifs qui ont franchi le pas de participer à une campagne électorale se moquaient pour la plupart de l’étiquette du ou de la candidate, qu’elles et ils s’impliquent localement ou soient prêt·es à traverser la France pour le faire. Sans relativiser l’enjeu de la confrontation stratégique sur « À qui on doit s’adresser ? », la première priorité stratégique c’est de poursuivre cette unité. Tout le monde le veut-il réellement ? Comment créer les conditions pour que les partis du NFP y adhèrent vraiment ou en soient contraints par l’aspiration populaire ? Comment respecter que des débats traversent le NFP sans craindre que toute controverse puisse être instrumentalisée pour briser cette unité ?
Nous sommes dans une crise politique majeure, on peut même parler de crise de régime. En bafouant le résultat des urnes mettant en tête le NFP et en choisissant Barnier premier ministre, issu d’un parti qui a refusé le barrage républicain, Macron use et abuse de tous les rouages de la 5ème République. L’enjeu pédagogique de la bataille pour sa destitution n’est pas qu’une bataille « contre Macron », mais bien contre la 5ème République qui octroie tant de pouvoir au chef de l’exécutif qu’il peut en monarque mettre son veto du roi contre le suffrage des urnes pour poursuivre sa politique dans une alliance allant jusqu’à l’extrême droite. Si personne ne peut sincèrement se faire d’illusion sur l’aboutissement si peu probable de la démarche du recours à la destitution, l’instabilité gouvernementale dans un Parlement marqué par une tripolarisation est telle qu’elle peut à tout moment déboucher sur une démission du président de la République et des élections présidentielles et législatives anticipées bien avant 2027. La prochaine élection nationale risque bien de marquer la fin du sursis : ce sera la gauche ou l’extrême-droite. Le Nouveau Front populaire sera-t-il capable de désigner une seule candidature à la présidentielle ? S’il ne le fait pas, il n’y aura pas de candidat de gauche au second tour pour barrer la route à Marine le Pen. Cette candidature sera-t-elle bien attachée au projet d’en finir avec son propre mandat, en finir avec la fonction même de président de la République ? N’est-ce pas d’abord et avant tout ce débat, tant sur la 6ème République que sur les modalités conduisant à une seule candidature commune qui aurait dû marquer la fête de l’huma ?
Est-il envisageable de seulement « espérer » que cette unité du NFP tienne ? N’est-ce pas prendre le risque qu’à l’instar du délitement de la Nupes des logiques partidaires sectaires l’emportent et trouvent leurs prétextes de briser l’union ? D’ores et déjà à son sommet, force est de constater que le large cadre du rassemblement, partis politiques mais aussi syndicats et associations, qui s’est mis en mouvement dans la campagne ne se réunit pas régulièrement ni dans sa diversité. Le Nouveau Front populaire n’est pourtant pas qu’un simple cartel de partis. Où sont les acteurs du mouvement social, pourquoi ne sont-ils pas conviés aux discussions ? L’hypothèse que le RN défende un texte portant sur l’abrogation de la réforme des retraites n’exige-t-elle pas une réunion de tout le NFP ou un échange avec tous les syndicats qui étaient membres de l’intersyndicale dans la bataille contre la contre-réforme de Macron ?
À un bout du NFP, les nostalgiques des années Hollande-Cazeneuve aimeraient gagner le congrès de leur parti pour sortir du NFP quand, à l’autre bout, certains semblent n’attendre que le moment opportun pour reprendre une stratégie présidentielle populiste en solo. Personne ne peut faire mine de l’ignorer. N’oublions pas ce qui a permis de déclencher l’impérieuse nécessité d’un accord entre les partis : la manifestation des jeunes devant les locaux du parti d’EELV où se tenaient les discussions qui scandait : « Ne nous trahissez pas, unissez-vous ! » Plus que jamais, à la base, promouvoir des assemblées citoyennes du Nouveau Front populaire, pérennes et tournées vers l’extérieur pour s’ancrer sur l’ensemble des territoires est essentiel. Nous devons renforcer l’ancrage du NFP dans ses bastions, les circonscriptions gagnées dès le premier tour, renforcer celui des circonscriptions gagnées de justesse mais aussi développer une stratégie pour en conquérir de nouvelles pour gagner la majorité absolue. Les circonscriptions perdues de peu face au RN devraient faire l’objet d’une volonté collective de déployer des forces militantes et citoyennes pour reconquérir le terrain, dans la continuité des démarches type convois de la victoire. Il serait suicidaire pour la gauche de décréter d’abandonner certaines circonscriptions. Cette stratégie est incompatible avec celle qui viserait à ne s’intéresser qu’aux quartiers populaires des grandes métropoles et à la jeunesse.
N’abandonnons pas une partie des classes populaires, des bourgs ou des sous préfectures au vote RN ! Cette stratégie ne relève pas que d’une parole volée à Jean-Luc Mélenchon, prise hors contexte. Elle a dicté celle de la France Insoumise lors des européennes et a été théorisée en interne. Dans le groupe insoumis à l’assemblée nationale, nous avons été plusieurs député.es à la contester et bien au-delà des « purgés ». Je me souviens encore de la dernière réunion à laquelle j’ai participé avant la purge, réunissant les parlementaires européens et les députés trois jours après la dissolution dans laquelle Jean-Luc Mélenchon vantait le succès du choix de se concentrer sur les quartiers populaires et la jeunesse, quand plusieurs députés déploraient au contraire l’échec à parler à l’ensemble de l’électorat populaire, y compris celui qui réside hors périphérie des métropoles. Parler d’une « nouvelle France », ce n’est pas parler de la créolisation du peuple, c’est induire qu’elle s’opposerait au présent à une « vieille France ». Aucune analyse électorale ne permet par ailleurs de démontrer qu’une reconquête de circonscription pour être majoritaire dans le pays peut se limiter au travail, bien évidemment déterminant, de regagner les abstentionnistes. Où donc est passée notre culture politique qui analysait le poison de l’extrême-droite comme l’arme du système capitaliste pour diviser les consciences de classes et les consciences républicaines pour maintenir et renforcer le pouvoir des dominants ? Le RN a capté 57% des ouvriers ! Nous restons minoritaires chez les employés ! La gauche doit, pour fédérer le peuple, reconquérir toutes les catégories populaires !
La question du travail, de sa rémunération, de ses conditions et de son sens, comme la question des services publics, sont des sujets centraux à même de fédérer les travailleuses et travailleurs où qu’ils résident. Même si je ne me retrouve pas dans les termes employés par François Ruffin, je partage sa conviction que nous devons, par le choix de nos thèmes mis en avant, en parlant du quotidien, contribuer à restaurer la dignité et rendre notre programme politique désirable et rassembleur. La question sociale doit redevenir centrale. Les enjeux écologiques doivent trouver leur traduction dans des mesures concrètes, populaires.
La mobilisation dans les grandes agglomérations et dans les quartiers populaires doit se poursuivre. Quand le PS avait abandonné les quartiers populaires et le combat antiraciste, la gauche a su, et notamment grâce aux insoumis, réincarner celles et ceux qui ne lâchent rien face à la déferlante raciste et islamophobes, alors que le Printemps républicain, par une instrumentalisation de la laïcité, n’a cessé de l’encourager. Lutter contre le racisme systémique, ne pas se taire mais agir pleinement contre les violences policières est une fierté collective, des combats à poursuivre et non à renier. Mais la lutte contre l’extrême-droite ne se mène pas en désertant là où elle se propage le plus ! La lutte contre un imaginaire fantasmé identitaire et si profondément réactionnaire, raciste, sexiste et LGBTPhobe derrière « l’antiwoke » ne se mènera pas que par la question sociale et la volonté de reverticaliser la conflictualité. Pour recréer une conscience de classe, il faut également mener la bataille culturelle contre les fantasmes qui attisent les haines.
Cette double bataille, sociale et culturelle, exige aussi de réinterroger nos pratiques militantes. Il ne s’agit pas de dénigrer l’utilité de distribuer des tracts et de coller des affiches, d’organiser des réunions publiques et des meetings. Mais pour sortir d’un entre soi, il est impératif d’explorer, poursuivre ou renforcer les démarches d’éducation populaire : portes à portes sur le modèle des enquêtes conscientisantes, démarches de type collecte de doléances et de témoignages, porteurs de parole sur les places passantes, mais aussi actions concrètes de solidarité type collectes, rencontres festives d’apéro, projections de films, bals populaires, repas de quartier ou kermesse etc. Savoir écouter et permettre à chacune et chacun de s’exprimer, créer du lien, des solidarités, refaire du collectif là où il n’y en a que trop peu : tout cela n’est peut être pas une condition suffisante pour arracher des femmes et des hommes à la résignation ou la colère solitaire, terreau de l’abstention, ou au rejet de l’autre comme ultime faux recours d’un sentiment de relégation ou une peur de déclassement, mais c’est très certainement une condition nécessaire.
Puisque dans notre programme nous défendons l’idée de gouverner selon les besoins, sociaux et écologiques, pourquoi ne pas dérouler ce fil autour des besoins, pour constituer des assemblées des besoins ? La proposition a été faite par Clémentine Autain lors de son intervention au meeting unitaire des rencontres d’été du PS à Blois. Nous voulons convaincre que notre programme changerait la vie des gens. Permettons au plus grand nombre de s’exprimer sur ses besoins, individuels et collectifs, concrets, locaux comme nationaux, en tant qu’usager de services publics comme en tant que travailleuse et travailleur. Racisés ou non racisés, les intérêts pour une toute autre politique ne sont-ils pas les mêmes ? Les luttes des travailleurs sans papiers n’ont elles pas à chaque fois qu’elles ont été victorieuses débouché sur des luttes plus larges dans les boites, profittant à l’ensemble des salariés ? Voilà de quoi faire émerger des collectifs, déclencher ou soutenir des luttes locales. Voilà de quoi démontrer qu’un autre budget de la nation et une toute autre politique seraient nécessaires.
Voilà de quoi constituer des forces citoyennes mobilisées, attachées à l’unité et pouvant opérer, par leur seule existence, une pression positive sur les appareils pour poursuivre au sommet cette unité par l’exigence réaffirmée : « Unissez-vous, ne nous trahissez pas ! »
Restons plus que jamais en campagne. Chiche, on s’y met ?
Danielle Simonnet, députée membre du groupe Écologiste et social, co-fondatrice de l’APRES, ex-insoumise