Résumé automatique par l’Intelligence Artificielle :
Publié le 25 novembre 2024 à 14h30
Modérer notre pessimisme après la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle américaine et dans l’horizon probable de la victoire du RN ici… c’est possible avec le film « Joker : folie à deux », un titre du dernier album de Clara Luciani et une chanson intemporelle de Charles Aznavour.
Cet article est une carte blanche, rédigée par un auteur extérieur
au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.
« Winter is coming » annonçait-on dans la série TV « Game of Thrones ». Aujourd’hui, winter is come : Viktor Orbán en Hongrie, Giorgia Meloni en Italie, Javier Milei en Argentine, le retour d’un Donald Trump radicalisé aux Etats-Unis… et bientôt Marine Le Pen ou Jordan Bardella en France ? La politique institutionnelle à gauche apparaît trop déboussolée et déréglée pour pouvoir apporter autre chose que, au mieux, des rustines provisoires. De manière inattendue, la culture populaire de masse apparaît plus à même de dessiner d’autres espaces de possibles.
Toutefois les apports de la culture populaire se situent à distance de l’optimisme des milieux militants, en puisant une dose de mélancolie dans l’expérience de nos échecs, de nos impasses et de nos fragilités, individuelles et collectives. Car si le cinoche, les séries ou les chansonnettes parlent surtout de l’intime et de l’interpersonnel, les grains de sable qu’ils sèment peuvent enrichir nos imaginaires politiques avec leurs composantes collectives. L’hiver étant déjà là, il nous faut commencer à penser l’après : un nouveau printemps émancipateur davantage qu’un énième « homme providentiel ».
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La fin du premier « Joker » de Todd Philipps sorti en 2019 était marquée par des ambiguïtés. Après l’assassinat en direct d’une vedette de la télévision (jouée par Robert de Niro) par Arthur Fleck-Le Joker (interprété par Joaquin Phoenix), une émeute embrasait la ville autour d’une héroïsation du Joker. Sans guère de distance, la caméra semblait accompagner avec jubilation cette flambée d’aigreurs individuellement et socialement disparates, susceptible de réunir des trumpistes et des « antisystèmes » de gauche. Et ce fut un succès critique et public international. Théo Ribeton parle de manière suggestive dans « les Inrockuptibles », d’un « réceptacle fourre-tout d’une colère anti-élites […] qui prolongeait dans notre réalité sa popularité malsaine ».
Le second opus de Todd Philipps, « Joker : Folie à deux » (sorti en France le 2 octobre 2024), avec Lady Gaga dans le rôle d’Harley Quinn, a, par contre, rencontré un accueil mitigé de la part de la critique et fait un flop commercial.
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Bande-annonce vostf de « Joker : folie à deux »
Pourtant, ce deuxième film apparaît, d’un double point de vue cinématographique et politique, comme bien supérieur au premier. Au niveau cinoche, il insère de manière subtile des scènes de comédie musicale dans le récit, en permettant d’alterner scènes réalistes et rêves d’un ailleurs amoureux. De ce point de vue, c’est mieux ciselé qu’« Emilia Perez » de Jacques Audiard (sorti le 21 août 2024), qui a du mal à bien intégrer les moments de danse et de chant dans la construction cinématographique d’une narration pourtant originale et qui a connu une réception critique incomparable et une réussite commerciale. N’est-ce pas un certain air du temps confusionniste, exaltant l’expression de frustrations hétérogènes par-delà un clivage gauche droite fragilisé, qui a été échaudé par « Joker 2 » ? Théo Ribeton avance qu’« après le hit de 2019, Todd Phillips se détourne avec audace et intelligence des attentes ». On peut même penser qu’il va plus loin en proposant une autocritique politique implicite des brumes confusionnistes du premier volet. Car Arthur Fleck finit par se détourner du personnage du Joker au profit d’un envol amoureux. Il ne sera pas suivi par sa dulcinée, qui fait partie des accros du Joker, mais une trouée utopique a été ouverte vis-à-vis des politiques du ressentiment, de Trump et d’autres.
L’envol amoureux de « Joker 2 » peut être prolongé par la possibilité de surmonter l’oubli grâce à une pépite dénichée dans le dernier album de Clara Luciani, « Mon sang » (sortie le 15 novembre 2024). Il s’agit de la chanson « Forget me not », interprétée avec le canado-américain Rufus Wainwright.
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« Forget me not, mon amoureux/Prends une mèche de mes cheveux/L’absence est rude aux amoureux/Qui restent près du cœur, loin des yeux. » Face au risque de l’oubli, l’amour peut persister, continuer à se faufiler en reliant nos intimités par-delà la distance. C’est un pari ! Un « pari mélancolique » aurait pu dire le regretté philosophe marxiste Daniel Bensaïd en lui donnant une portée politique. Car, contre l’oubli, l’utopie émancipatrice collective comme l’utopie amoureuse intersubjective peuvent continuer leurs routes respectives, même si la séparation s’installe, même si les politiques du ressentiment s’étendent. « Forget me not/N’oublie pas le chemin jusqu’à ma porte. » C’est peut-être aussi, sur un autre plan, sortir du brouillard et retrouver le chemin, ou mieux les chemins, jusqu’à la porte de l’émancipation pour des citoyens qui n’ont pas oublié.
Charles Aznavour, qui retrouve des éclats d’actualité avec le biopic que lui ont consacré Medhi Idir et Grand Corps Malade (sorti le 23 octobre 2024), est aussi un chanteur de la préservation de la mémoire amoureuse. Dans un entretien dans « 20 Minutes », Tahar Rahim, qui interprète le rôle-titre de « Monsieur Aznavour », explique qu’une chanson d’amour d’Aznavour lui donne « des frissons » : « Non, je n’ai rien oublié » (1971).
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« Non, je n’ai rien oublié », Charles Aznavour, Palais des congrès, 1994
Deux anciens amoureux se croisent par hasard. Ils ont été séparés dans leur jeunesse par le père de la jeune fille pour des raisons de statut social. « Non, je n’ai rien oublié… », déclare l’homme. Devant la femme jadis aimée, il comprend que, contrairement à ce qu’il pensait, tout ne meurt pas « avec le temps qui passe ». « Les souvenirs foisonnent » : l’amour passé resurgit par-delà le temps. « Et mon passé revient du fond de sa défaite » : un autre avenir à deux est susceptible de se dessiner à nouveau. En tout cas, sous la forme d’un peut-être nouant possibilité et incertitude : « Si tu en as envie, si tu es disponible »… Un autre avenir pour l’amour entre deux êtres, un autre avenir pour nos désirs individuels et collectifs d’émancipation…
Cependant, retrouver un horizon utopique suppose de ne pas aussi oublier les défaites et les dérives qui ont jalonné l’histoire de la gauche, et en particulier celle des deux pôles qui l’ont dominée au XXe siècle sur la scène mondiale : le communisme et la social-démocratie. Pour le premier, la bifurcation autoritaire propre au léninisme a débouché sur la catastrophe totalitaire du stalinisme, qui a entaché la plupart des expériences qui ont porté la référence communiste. Pour la seconde, la participation à la boucherie de 14-18 ainsi qu’aux crimes du colonialisme constitue la face sombre de victoires éphémères, de 1936 en 1981. Et puis le tournant de 1983 vers une adaptation au cours international du néolibéralisme, de Mitterrand à Hollande en passant par Jospin, l’a éloigné durablement de la question sociale. Partant, nos blessures politiques, collectives et individuelles, donnent des couleurs mélancoliques à la souhaitable renaissance des espérances émancipatrices. Mais ne peut-on pas doter notre mélancolie politique d’une ouverture têtue vers l’avenir, en découvrant des sentiers inédits nous menant à des temps plus printaniers ? A la manière, avec des teintes contrastées de pessimisme, de « Joker 2 », de Clara Luciani et de Charles Aznavour.
Retrouvez la chronique Rouvrir les imaginaires politiques tous les mois.