Résumé automatique par l’Intelligence Artificielle :
ÉLÉMENTS : Mais il n’y a pas d’aventurière dans votre livre ! C’est quoi cette histoire ?
FRANÇOIS-XAVIER CONSOLI. Si même le féminisme à deux ronds parvient à convertir les guerriers des steppes comme mon interlocuteur, à quoi bon continuer à écrire. Je renonce ! (rires) C’est l’une des premières remarques qu’on a pu me faire lors de la sortie du livre : « Et les femmes ? Où sont les femmes ?! » Patrick Juvet c’est marrant, mais musicalement ça va deux minutes. Alors pourquoi aucune femme ? Je ne le répéterai jamais assez, mais la vie c’est faire des choix. Pour ce premier volume, car j’espère en faire d’autres, les places étaient vite prises, et aucune femme ne m’est venue à l’esprit. Certes il y en a. Je pense à Isabelle Bird, grande exploratrice ; Marie Marvingt, pionnière de l’aviation ; l’intrépide Calamity Jane ; ou encore l’ésotérique et amoureuse du Tibet, Alexandra David-Néel. Des femmes aventureuses, ça se trouve évidemment. Mais il y en a moins. Cela tient sans doute au fait que le goût du risque est quelque chose de plus masculin. Même si cela fait grincer, désolé mesdames, mais c’est ainsi. Il n’empêche, certaines aventurières ont des destins passionnants. Pourquoi pas pour un volume deux ?
ÉLÉMENTS : Vos plus beaux portraits sont tout de même ceux que vous consacrez à des aventuriers « à cause », qu’il s’agisse de défendre ses couleurs (Bart, Surcouf, Dupin) ou celles qu’on se choisit – ou s’invente (Brunet, Ungern, Tounens). Ce n’est que mon avis bien sûr, mais sans ce supplément d’âme, je trouve que l’aventure a tôt fait de se confondre avec l’exploit sportif, quand ce n’est pas avec la criminalité pure et simple.
FRANÇOIS-XAVIER CONSOLI. Lorsqu’on a une cause à défendre, que celle-ci semble évidente, les choses sont plus simples. Le lecteur peut s’identifier, d’autant plus quand cette cause résonne dans ses tripes. Pour faire écho à une question qui revient souvent : l’aventure est-elle encore possible ? Effectivement, l’exploit sportif est communément considéré comme de l’aventure aujourd’hui. En tout cas, ce qui s’en rapproche le plus. Ce n’est pas du tout la définition que je donnerais à l’aventure. Jacques Balmat par exemple, l’un des portraits du livre, n’est pas un sportif. Il a beau être le premier alpiniste à avoir vaincu le Mont Blanc, il ne s’agissait absolument pas d’accomplir un exploit athlétique, mais de relever le défi maudit de l’impossible. N’y a-t-il pas là quelque chose se rapprochant bien plus de la foi que de l’exploit ? Sûrement. En plus de considérations bassement pratiques (être le premier au sommet impliquait une récompense, ne jamais oublier ça), les hommes d’aventure accomplissent leur destin. Impossible, irréalisable, rocambolesque ! « Qu’importe ! » répondront ces bougres. On prend son risque, et on fonce.
ÉLÉMENTS : Quel est selon vous, qui les faites revivre le temps d’un chapitre, le plus petit dénominateur commun entre tous ces personnages, si hauts en couleur qu’on les imagine mal tenir ensemble plus d’une heure dans la même pièce ?
FRANÇOIS-XAVIER CONSOLI. « Avec la foi, on ne fait pas grand-chose ; sans la foi, rien », disait si justement Gilbert Cesbron. Je crois que c’est l’une des clefs les plus importantes pour comprendre ces hommes. Certes, des Spaggiari, Cravan ou encore Zykë sont des filous de première. Et pourtant, sans la foi dans leurs rêves, dans leurs délires, dans leurs destins, ils ne seraient jamais parvenus au panthéon des aventuriers. Notons une chose : même le moins noble de ces forbans ne s’est pas contenté de réaliser un petit coup à deux ronds, ou ne s’est satisfait de la médiocrité. Tous avaient le goût du grandiose. Même si ce grandiose n’est pas très honnête. Eh bien tant pis…
ÉLÉMENTS : Au fond, c’est quoi l’éthique de l’aventurier ? Si tant est qu’il n’y en ait qu’une…
FRANÇOIS-XAVIER CONSOLI. Le goût du risque, la foi dans l’impossible, dans quelque chose qui nous dépasse ; et, il faut l’avouer, une certaine désinvolture par rapport à la vie. Cela peut paraître curieux de considérer des militaires comme le colonel Dupin ou notre Dieu de la guerre, Ungern-Sternberg, sous cet angle si détaché. Mais n’ont-ils pas fait preuve de la plus belle des arrogances vis-à-vis de l’existence tout au long d’une vie ne tenant qu’à un fil ?
ÉLÉMENTS : Parmi tous vos héros, on n’en compte pas beaucoup qui soient morts dans leurs lits…
FRANÇOIS-XAVIER CONSOLI. Naviguer sur les océans, braquer des coffres, parcourir les steppes à cheval ou les dunes sur les premières motocyclettes, cela n’a rien d’une thalasso. Rares sont les aventuriers à avoir terminé leurs courses au fond du pucier. Il ne faut pas oublier « qu’avant », la vie des hommes commençait bien plus tôt. À trente ans, la vie, la légende d’un Surcouf étaient faites.
ÉLÉMENTS : Sous votre plume, Antoine de Tounens est toujours aussi touchant. On a beau connaître son histoire, la fascination reste intacte. Je me souvenais du doux rêveur, pas du chef rebelle prêt à déclarer la guerre au Chili ! Le massacre aurait été assuré pour ses « sujets » indiens. Est-ce qu’on ne touche pas ici aux limites de ce qu’un aventurier est en droit de se permettre ? (Question petite-bourgeoise, je sais bien)…
FRANÇOIS-XAVIER CONSOLI. Je reconnais bien là les considérations étriquées de l’homme salarié ! (grand sourire) Tounens, encore une histoire dont on peut parler des heures… Précisément, l’aventurier se permet. Il se permet l’impossible. Osons une comparaison actuelle : tout se permettre aujourd’hui reviendrait à quoi ? Se faire greffer un chibre postiche alors qu’on a des ovaires ? Commander un bébé AliExpress dans le tiers-monde ? Appeler à la révolution dans un amphi tout en se faisant féliciter par son papa professeur de philo à la Sorbonne ? Si je fais le lien avec la question précédente sur l’« éthique de l’aventurier », ce dernier se permet non pas d’incarner un rebelle promoteur de l’époque. Il se contrefout des modes, car il n’est pas collectif. Sa quête est individuelle. Son destin est une affaire entre lui et le patron (les patrons, une force qui le dépasse, histoire de ne pas froisser les nombreux convives de la table d’Odin). Autrement dit, pour reprendre l’aventure de Tounens, petit employé devenu roi, s’il ne s’était pas permis cette prétention royale, qui l’a pourtant conduit à sa perte, il serait resté un petit avoué de Périgueux. Cryptarque, grand souverain du Royaume d’Araucanie et de Patagonie, avouez, ça a quand même plus de cuisse !
ÉLÉMENTS : Je n’aurai qu’un reproche à faire à votre livre. Qu’il n’y ait pas de femme, passe encore. Mais qu’il n’y ait pas un seul Allemand, je l’avoue, c’est dur à avaler. Alors je vous le demande : à quand Lettow-Vorbeck, Wassmuss, Niedermayer, Luckner ?!
FRANÇOIS-XAVIER CONSOLI. Je m’aperçois que votre féminisme reste limité ; tout n’est pas perdu ! (encore un large sourire) Effectivement, je risque de décevoir votre tropisme outre-rhénan. Et je dois le reconnaître, ces noms ne me parlent guère. Pour ce premier volume, c’est l’imaginaire du gamin bibliophile qui a parlé. Mais comme je l’ai dit, pour un second, voire un troisième volume, aussi vrai que l’aventure trouve toujours son chemin, pourquoi pas s’aventurer du côté de l’Afrique orientale allemande. Les places seront chères, Kamerad ! Quoi qu’il en soit, que votre cœur reste aventureux !
Propos recueillis par Laurent Schang
Illustration : Antoine de Tounens acclamé par les chefs araucans.
L’article « L’aventurier se contrefout des modes, car il n’est pas collectif. Sa quête est individuelle » est apparu en premier sur Revue Éléments.