Mandat de la CPI contre Netanyahou : « Dénoncer les massacres de civils à Gaza n’est pas être antisémite »

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Publié le 28 novembre 2024 à 8h15

En accusant la Cour pénale internationale d’avoir rendu une décision « antisémite » contre sa personne et en se comparant à Dreyfus, Benyamin Netanyahou entretient une confusion toxique entre critique du gouvernement israélien et haine des juifs, s’alarme Marwan Sinaceur.

Cet article est une tribune, rédigée par un auteur extérieur
au journal et dont le point de vue n’engage pas la rédaction.

Montesquieu pensait que ce sont les institutions, pas les individus, qui garantissent le droit. Sa phrase est restée célèbre : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ».

En taxant la décision de la Cour pénale internationale « d’antisémite » et en se comparant à Dreyfus, Benyamin Netanyahou, qui dit tant se réclamer des valeurs occidentales, foule le principe d’indépendance du pouvoir judiciaire au fondement des Lumières.

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Le mandat d’arrêt de la Cour pénale internationale (CPI) émis contre Benyamin Netanyahou, ainsi que Yoav Gallant, ne le vise pas parce qu’il est juif ou Israélien (son identité), mais pour ce qu’il a commis entre le 8 octobre 2023 et le 20 mai 2024 (ses actes). De multiples preuves documentent le massacre de civils, l’utilisation de la faim comme moyen de guerre, et l’intention explicite derrière ces actes telle que communiquée par les dirigeants israéliens eux-mêmes. Par exemple, le ministre Yoav Gallant a qualifié les Palestiniens « d’animaux humains » et ordonné un siège complet sans eau, nourriture, ni électricité pour la population ; un autre ministre (Avi Dichter) a explicitement parlé de déplacement de masse, et Netanyahou a fait référence à l’éradication complète de Gaza dans un passage où il comparait Gaza à Amalek, un peuple ennemi mentionné dans la Bible. Oxfam a documenté que le bilan annuel des femmes et des enfants tués à Gaza dépasse celui de tous les autres conflits récents. L’historien israélien, Amos Goldberg, spécialiste de la Shoah à l’Université hébraïque de Jérusalem, a qualifié les horreurs de Gaza de génocide : « Ce qui se passe à Gaza est un génocide, car Gaza n’existe plus. » Les écoles, les hôpitaux, rien n’y échappe. 69 % des infrastructures en eau ont été délibérément visées par l’armée israélienne.

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Dénoncer cela, le documenter, le rappeler ne veut dire en aucun cas justifier ni excuser les horreurs terroristes du Hamas du 7-Octobre 2023 ! La décision de la Cour pénale internationale a pris six mois (trois semaines contre Poutine) : on ne peut pas dire qu’elle fut expéditive. L’acte d’accusation ne nie d’ailleurs pas le droit d’Israël à se défendre, mais réitère que ce droit ne l’absout pas, comme les autres Etats, de respecter le droit humanitaire international.

Le gouvernement de Netanyahou aurait pu s’en prendre au Hamas : il s’en est pris à la population civile de Gaza dans son ensemble, aux femmes, aux enfants, aux médecins, aux infirmiers, aux journalistes, aux travailleurs humanitaires. Le bilan est terrible : en dizaines de milliers de morts, en milliers d’amputés, en centaines de milliers de réfugiés. Au début de la guerre, des militaires américains sensibles au droit d’Israël à se défendre avaient essayé de persuader Netanyahou que la lutte à mener était contre le Hamas, non contre la population civile de Gaza. Permettre la livraison de nourriture, d’eau et de médicaments aux civils aurait permis de gagner la guerre idéologique contre le mouvement fanatique. Peine perdue.

Ironiquement, la valeur juridique de la décision de la Cour pénale internationale tient au fait que le gouvernement israélien n’a pas mis en place de commission d’enquête indépendante. L’eût-il fait, le principe de complémentarité aurait imposé à la Cour de s’en remettre à une telle commission israélienne. Bien sûr, Netanyahou n’a pas voulu d’une commission israélienne qui aurait pu montrer son rôle dans la montée du Hamas.

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Les bombardements indiscriminés au Liban, y compris en plein centre de Beyrouth et à proximité des sites romains de Baalbek et de Tyr, les milliers de morts au Liban – une très grande majorité de civils, femmes, enfants là aussi – et plus de 1,2 million de réfugiés sont d’ailleurs exclus du mandat d’arrêt. Les violences continuelles des colons contre les Palestiniens de Cisjordanie (179 morts Palestiniens en Cisjordanie avant les attaques du 7 Octobre sur l’année 2023 selon CNN) le sont aussi.

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Dire tout cela n’est pas être antisémite. Faut-il rappeler que nombre de figures juives dénoncent les horreurs de Gaza ? Bernie Sanders, sénateur américain, écrit : « Le gouvernement extrémiste de Netanhyahou n’a pas simplement mené une guerre contre le Hamas. Il a mené une guerre sans merci contre le peuple palestinien. » Kenneth Roth, ancien directeur de Human Rights Watch, dont le père a fui l’Allemagne nazie, écrit sur X : « La Cour pénale internationale a trouvé des raisons suffisantes de croire que l’Etat d’Israël commet des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité à Gaza. » . Un récent sondage montre que 41,3 % des adolescents juifs américains pensent qu’Israël « commet un génocide » à Gaza et 66 % disent qu’ils « sympathisent avec le peuple palestinien ».

Comment donc oser une comparaison avec l’accusation inique contre Dreyfus, patriote français, accusé simplement parce qu’il était juif ? Aucune preuve contre Dreyfus, victime innocente de l’antisémitisme persistant dans la société française. Preuves accablantes et macabres à Gaza.

En taxant la décision de la Cour pénale internationale « d’antisémite » et en se comparant à Dreyfus, Netanyahou mélange sciemment critique de la politique israélienne et antisémitisme. C’est un jeu non seulement pervers, mais dangereux. Comment expliquer aux jeunes révoltés par les horreurs de Gaza que Netanyahou ne représente ni les Israéliens ni les juifs, que l’antisémitisme est abject et condamnable sans réserve, si critiquer la politique israélienne devenait de « l’antisémitisme » ? Peut-on imaginer dire que critiquer Macron, c’est être antifrançais ?

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Comme le note le président du CRIF face à un antisémitisme grandissant, il y a aujourd’hui une « porosité toxique entre la critique d’Israël et l’ostracisation des juifs de France ». En mélangeant les deux, Netanyahou alimente cette porosité.

Soyons clairs : on doit condamner l’antisémitisme, sans aucune réserve. L’antisémitisme, on doit le répéter, c’est le racisme contre les juifs, la discrimination, la haine, la violence verbale, la violence physique. Une haine et une violence qui ont conduit à l’horreur indicible de la Shoah. De manière rampante, c’est une essentialisation, un complotisme, une réduction de l’individu à une catégorisation qui l’enferme.

On doit reconnaître l’Etat d’Israël. Israël a droit à exister, de manière viable comme pays, dans des frontières sécurisées, avec son destin. Le peuple juif a le droit de disposer de lui-même, avec son Etat. L’OLP a reconnu Israël en 1988. La Ligue arabe a proposé une normalisation complète avec Israël en 2002.On doit reconnaître le droit des citoyens israéliens à vivre dans la paix et la dignité, sans être tués ou menacés.

Mais on doit pouvoir dénoncer la politique israélienne, que ce soit la conduite de la guerre à Gaza ou au Liban (la majorité des tués sont civils et ne sont pas des « boucliers humains »), ou la colonisation en Cisjordanie (les violences des colons, la captation continue des terres contre les Palestiniens).

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Et, l’on doit pouvoir, également, critiquer les dirigeants politiques israéliens, non pas pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils font. Quand des ministres israéliens parlent de déporter des populations entières de Gaza ou du Liban, se taire c’est être complice.

Dénoncer les massacres de civils à Gaza n’est pas être antisémite.

Marwan Sinaceur est professeur de psychologie sociale à l’ESSEC, titulaire d’un doctorat de l’Université Stanford aux Etats-Unis. Il est spécialiste de la résolution des conflits, des émotions humaines et de la culture arabe.

 

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