Le tableau « Le Pierrot » d’Antoine Watteau, conservé au Louvre depuis 1869, est une œuvre riche en significations multiples et en mystère. Cette peinture, réalisée vers 1719, se distingue par sa complexité intellectuelle et conceptuelle.
D’une part, « Le Pierrot » peut être vu comme une allégorie de la lutte entre le théâtre noble et le théâtre populaire, reflétant les tensions de l’époque où les troupes de théâtre de Foire parisiennes furent contraintes de fermer et de s’exiler à Londres. Cette interprétation s’aligne sur les idées de Guillaume Faroult, qui suggère que Watteau prend parti pour l’un ou l’autre type de théâtre à travers la figure silencieuse et moquée de Pierrot[1].
D’autre part, la figure de Pierrot, avec sa mélancolie et sa quasi-paralysie physique, peut être interprétée comme une métaphore d’une société épuisée, lasse de ses représentations théâtrales et picturales. Cette lecture socio-historique, inspirée des travaux d’Arlette Farge, souligne les « fatigues » engendrées par les conflits successifs de l’époque[5].
En outre, le personnage de Pierrot peut être vu comme une figure précurseuse du mouvement décrit par Jean Starobinski comme la « relève des dieux par les pitres », où le clown moqué et frappé remplace la figure du Christ aux outrages. Cette perspective met en lumière la transformation des représentations modernes et leur impact sur la perception de la souffrance et de la mélancolie[5].
Enfin, l’œuvre de Watteau illustre la théorie esthétique selon laquelle les grandes œuvres d’art conservent leur éclat bien après que les contextes historiques de leur création se sont effacés, un concept qui rappelle les idées de l’esthétique kantienne sur l’autonomie de l’art et sa capacité à transcender le temps[1][3].
Source : https://www.revuedesdeuxmondes.fr/pierrot-dantoine-watteau-demasque/